Durapaliassé S2#5 – Un rap et son écho psy !

Jonas Roisin - 26 novembre 2025

UN RAP

À propos
Date de sortie : 2025
Artiste : Danyl
Album : BROUILLON

J’ai grandi quand les rebeus c’était pas à la mode
J’étais frais jusqu’en 2001 puis j’suis devenu moche
J’voulais plus écouter de raï j’voulais écouter Akon
J’imitais l’accent de mon vieux pour faire rire l’école
Même quand j’avais rien fait j’avais peur d’monsieur l’agent
Qui m’a dit dans les yeux qu’il voulait qu’je quitte la France
Me renvoyer au bled alors que j’parle même pas la langue
Car mon père pensait que pour m’intégrer fallait pas me l’apprendre
Rien qu’j’me pose des questions
Faut qu’j’rentre à la maison
Mais la maison c’est où?
J’suis entre deux lignes
J’écris pile au milieu
C’est brouillon mais c’est nous
Rien qu’j’me pose des questions
Faut que j’rentre à la maison
Mais la maison c’est où?
J’ai du mal à m’sentir à ma place
Ni d’ici ni de là-bas
C’est brouillon mais c’est nous
La honte
J’comprends un peu mais j’parle pas bien la langue
La honte, mmmh la honte
Ah bon
T’es surpris qu’j’ai fait des études, pourquoi, raconte
Bah alors, ça compte
Depuis l’époque de la marelle, rien a changé c’est pareil
Pour qu’on m’aime, y a qu’deux choix
Soit j’marque des buts, soit j’les fais marrer
Quand j’parle bien, j’suis un vendu, quand j’dis wesh, j’fais la cité
Aujourd’hui c’est brouillon demain c’est bien dessiné
J’avais honte j’ramenais jamais d’meuf chez moi
J’avais peur qu’elle tombe sur ma cousine ou ma mère, ma soeur
Mon frère, la voisine d’en bas, la caissière, le maire
Rien qu’j’me pose des questions
Faut qu’j’rentre à la maison
Mais la maison c’est où?
J’suis entre deux lignes
J’écris pile au milieu
C’est brouillon mais c’est nous
Rien qu’j’me pose des questions
Faut que j’rentre à la maison
Mais la maison c’est où?
J’ai du mal à m’sentir à ma place
Ni d’ici ni de là-bas
C’est brouillon mais c’est nous

SON ECHO PSY

Jean-Claude Métraux
La migration comme métaphore

p.207

Anna Arendt : « le conflit entre les préjugés familiaux et les exigences scolaires aboli d’un seul coup l’autorité à la fois des parents et des enseignants. Dans la mesure où les parents et les enseignants lui font défaut en tant qu’autorité, l’enfant se conformera plus fortement à son propre groupe et dans certaines conditions, le groupe des pairs deviendra son autorité suprême ». En bref, l’enfant puis l’adolescent « migrants » se retrouve pris dans les rets de deux systèmes d’autorité diffusant des valeurs distinctes : la famille et l’école, qui au mieux s’ignorent, au pire se vouent aux gémonies. En faisant suffisamment de conneries, considérées telles par l’une et l’autre, il offre à leurs représentants la possibilité de se rencontrer, de s’accorder, de se reconnaître. Malheureusement, aveuglés par nos certitudes, nous préférons invoquer une supposée « violence balkanique » (ou maghrébine ou africaine) et un « esprit clanique » quasi génétique. Or, quel que soit le recours coutumier à la violence, dans des cycles traditionnels de vengeance entre « clans » familiaux, la violence jeune, parfois à tonalité sexuelle aussi honnie par les parents que par nos enseignants, nos juges et notre opinion publique : la bande n’a rien de commun avec le clan familial. Renvoyer dans ces circonstances le fardeau de la responsabilité à l’autorité familiale, et au travers elle a une communauté et une culture, creuse le fossé d’incompréhension et de mépris entre les 2 autorités que les jeunes tentent désespérément de rapprocher. La violence, fille de l’impuissance et du déficit de reconnaissance, ne pourra que s’exacerber davantage.